Après Fede Galizia, Panfilo Nuvolone est considéré comme le plus important peintre de nature morte en Lombardie au début du XVIIe siècle. Né à Crémone, il est documenté à Milan...
Après Fede Galizia, Panfilo Nuvolone est considéré comme le plus important peintre de nature morte en Lombardie au début du XVIIesiècle. Né à Crémone, il est documenté à Milan à partir de 1610 et profite de l’environnement artistique et intellectuel particulièrement riche de la cité, favorisé par la figure prédominante de son archevêque, le cardinal Federico Borromeo, ardent défenseur des arts.
Élève de G. B. Trotti, dit Il Malosso, puis fortement influencé par Camillo Procaccini, Nuvolone va mener une carrière milanaise ponctuée de commandes publiques pour plusieurs églises de la ville. Mais c’est bien dans le genre de la nature morte qu’il est véritablement éminent. Il est principalement influencé par Galizia, qui a renouvelé le genre dans le nord de l’Italie, en y insufflant un naturalisme poussé, peut-être issu de l’art du jeune Caravage, que vient sublimer un sens de la composition magistral, les fruits se présentant en général éclairés vivement, au centre de la composition, et se détachant sur un fond sombre. Les œuvres des deux artistes sont d’ailleurs si proches qu’elles sont – encore aujourd’hui – très fréquemment confondues.
Symétrique et présentant ses différents éléments avec sobriété et un vérisme certain dans la représentation des pêches, cette composition est à rapprocher d’une œuvre très comparable, montrant elle aussi ces mêmes fruits dans un compotier précieusement orfévré, aux anses en forme de serpents entrelacés, et accompagnés de fleurs sur les deux côtés. Exécutée sur toile et montrant quelques variantes avec le présent tableau, notamment dans le récipient, elle a été publiée par Gianluca Bocchi en 1998 (G. et U. Bocchi, Naturaliter. Nuovi contributi alla natura morta in Italia settentrionale e Toscana tra XVII e XVIII secolo, 1998, p. 21), qui la considère d’une qualité inférieure à celle-ci.
Issu d’une noble famille de Crémone, Panfilio NUVOLONE apprend le métier auprès du peintre Giovan Battista Trotti (1555 – 1619). Il est ensuite documenté à Milan à partir de 1610. Panfilio NUVOLONE peint des tableaux religieux pour les églises lombardes mentionnés par les sources, alors que, sans surprise, ces mêmes sources ne font pas état de son activité de peintre de natures mortes. Celle-ci est pourtant documentée, notamment par l’inventaire de la collection du duc Carlo Emanuele I de Savoie, dressé en 1635, dans lequel trois tableaux de fleurs et de fruits peints par Panfilio NUVOLONE sont cités. Quatre natures mortes signées et datées sont connues à ce jour dont la Nature morte aux pêches et raisins dans une coupe en métal publiée par Carlo Volpe en 1964 (mais signalée par de Logu deux ans plus tôt), signée et datée 1620 « Pamph. Nuvolone F.A. 1620 » ; une variante de celle-ci publiée par De Logu en 1962 signée et datée 1617.
C’est grâce au goût du Cardinal Federico Borromeo pour la peinture de paysage et de natures mortes flamande, dont il apprécie particulièrement la technique miniaturiste, que se développe à Milan à des dates précoces un incontestable intérêt pour la peinture de natures mortes. Federico Borromeo est l’un des plus importants mécènes de Jean Brueghel le Vieux (1568 – 1625) dont il possède plusieurs tableaux. C’est ainsi que, dans ce contexte favorable à l’éclosion du genre, une place particulière échoue aux natures mortes de Panfilio NUVOLONE et de Fede Galizia (1578 – 1630). Alors que les natures mortes de la Signora Fede se
rattachent à un contexte d’attention à la donnée naturaliste qui a ses origines dans la peinture lombarde de la Renaissance (on pense aux retables de Moretto (1498 – 1554), de Romanino (1485 – 1566) et de Savoldo (1480 – 1580)), les œuvres de Panfilio NUVOLONE sont marquées par la culture du maniérisme tardif développée par les frères Campi (Antonio 1524 – 1587 et Giulio (1502 –1672). Bien que les points communs entre Fede Galizia et Panfilio NUVOLONE ne manquent pas, au point que des confusions de corpus entre l’œuvre de ces deux peintres ne soient pas rares, la production de la Signora Fede présente une tonalité froide caractéristique – à ce propos Alessandro Morandotti parlait de « stesura gelida » (rendu froid) tandis que Roberto Longhi remarquait déjà, avec son indéniable sens de la formule, ses « toni contristati » (sa tonalité mélancolique). Cette « tonalité argentée » qui a été la sienne s’encre profondément dans la peinture lombarde, à laquelle Fede Galizia adjoint un vrai engagement et une propension à la description scientifique qui est bien moderne. Les natures mortes de Panfilio NUVOLONE, plus sensuelles et plus fondues sont, en revanche, issues d’une méditation de l’œuvre des Campi. Elles témoignent en même temps de l’influence de Franz Godin (1590 – 1635) italianisé en Francesco Codino, peintre de natures mortes formé à Hanau par Daniel Soreau et actif vraisemblablement en Italie du nord au début du XVIIe siècle. Panfilio NUVOLONE, à la différence de Fede Galizia, saura intégrer quelque chose de la vision de Caravage, dont le Cardinal Federico Borromeo possède la seule nature morte que la critique lui reconnaît.
Dans le tableau étudié on voit une coupe en métal ouvragée remplie de pêches et d’oranges posée au-dessus d’une console. Elle est flanquée à gauche par un rameau de fleurs d’oranger et à droite par deux anémones doubles.
La présentation de la coupe évoque fortement, par sa légère saillie du plan d’appui, la corbeille de fruits de Caravage, dès 1607 décrite dans la collection du Cardinal Borromeo, tandis que le point de vue surplombant que le peintre a choisi pour la représenter, de même que le fait d’avoir associé à son objet principal deux éléments qui la flanquent et qui adoucissent la radicalité du cadrage caravagesque rappellent les corbeilles aux fruits issues des ateliers flamands et allemands d’un Hulsdonck (1582 – 1647) ou d’un Isaak Soreau
(1604 – 1644). Or les pêches et les oranges représentés par Panfilio NUVOLONE, dont la surface est longuement travaillée à la pointe du pinceau avec des frémissements de la matière picturale économes et justes, rappellent de fait davantage le métier nordique que celui, étiré, émaillé plein d’imagination propre à la célèbre canestra. De même, leur aspect, qui n’enregistre aucune marque du passage du temps ni aucune particularité propre à un spécimen donné, se rattache à la culture du maniérisme tardif dans laquelle le style
de Panfilio NUVOLONE est solidement ancré.
Dans le même ordre d’idées les feuilles lancéolées des pêches forment une sorte de corolle au-dessus des fruits et éclairent le fond sombre d’un halo précieux. Précieuse est aussi l’étonnante coupe simulant le vermeil dont les anses sont formées par un serpentin enroulé sur lui-même et entièrement travaillée par des motifs à volutes, des putti ailés et des cordons de perles qui accrochent la lumière. Le type de cette coupe évoque les dessins des vases maniéristes de Polidoro da Caravaggio ou les inventions de Enea Vico, diffusées
par la gravure. Si elle ne semble pas reproduire un objet réel, Panfilio NUVOLONE a su trouver, là encore, un équilibre entre le naturalisme fardé et imagé propre à la culture post-tridentine et les multiples approches modernes qui naissent à la fin des années 1590 et qui se stabilisent dès les premières décennies du XVIIe siècle.
De ce tableau il existe une autre version, présentant des infimes variantes, peinte sur toile et de dimension comparables (45 x 55 cm). Cette version sur toile a été publiée par Carlo Volpe en 1964 comme Fede Galizia.
Elle apparaît à plusieurs reprises sur le marché de l’art, en 1985, en 1998 et en 2012 avec une attribution à Fede Galizia, attribution que nous rejetons. C’est en 1998 que Gianluca Bocchi l’attribue, à juste titre, à Panfilio NUVOLONE.
L’apparition du tableau étudié, peint sur panneau, comme la plupart des « incunables » de la peinture de nature morte du XVIIe siècle, d’une exécution particulièrement raffinée tandis que la toile, maintes fois publiée et à l’évidence postérieure, présente des faiblesses notamment dans la définition quelque peu approximative de la coupe en métal ouvragée, révèle comme le tableau ici étudié soit bien la version originale. L’existence de deux versions témoigne, dans tous les cas, du succès de notre composition : un phénomène du reste commun au destin des inventions de la « Signora Fede » dont on connaît des
nombreuses répliques de plusieurs de ses compositions.
Stylistiquement le tableau étudié est à rapprocher notamment de la Coupe de pêches et deux oiseauxmorts, huile sur panneau, h. 38 cm x l. 48,2 cm, publié par Luigi Salerno, La Natura morta italiana 1580 - 1805 1984, fig. 16.3 p 64 (comme Panfilio Nuvolone).